Titre un brin provocateur, je vous l’accorde… 😈
Hier, j’ai lancé sur X/Twitter le sondage suivant :
Que nous apprend ce sondage ?
1. Le dispositif
Cœur 🫶 sur les gens qui ont cru qu’ils avaient tout compris en repostant le sondage assorti d’un « les deux sont fausses ! »… Mes intentions réelles leur ayant échappé, mon protocole s’en trouvait implicitement validé.
Car là n’était pas la question : il s’agissait d’opter pour celle des deux phrases qui serait « à bannir », pas « fausse », donc d’émettre un jugement prescriptif — ou plutôt proscriptif.
L’absence de 3e option « les deux » était intentionnelle : il fallait contraindre les personnes décidant de répondre à faire un choix.
De même, les réponses (au tweet) étaient bloquées pour limiter au maximum toute influence sur les réponses (au sondage).
2. Deux énoncés « faux »
Penchons-nous maintenant sur les deux options proposées : oui, les deux sont « fausses », « fautives », « erronées » — je le savais déjà, figurez-vous, et c’était fait exprès. Je préfère dire non conformes à la syntaxe du français standard mais, bref, voici pourquoi elles le sont.
Ce sont des phrases dites « clivées », qui résultent de la transformation d’une phrase simple (« J’ai besoin de ça ») en phrase complexe comportant proposition principale et proposition subordonnée. Elles servent à créer une mise en relief contrastive sur un élément, ici « ça ».
En syntaxe française standard, l’énoncé « J’ai besoin de ça » peut être clivé de deux façons :
- « C’est de ça [que j’ai besoin]. »
- « C’est ça [dont j’ai besoin]. »
La subordonnée, entre crochets, est une relative qui, en 1, a « de ça » pour antécédent, et seulement « ça » en 2.
La différence entre les subordonnants « que » et « dont » est que le second « incorpore » la préposition « de » : on dit ainsi « l’homme [dont je t’ai parlé] » (= « je t’ai parlé de cet homme ») ou « l’enfant [dont le vélo est rouge] » (= « le vélo de cet enfant »).
Dans la clivée n°1, le subordonnant « que » est d’usage car la préposition « de » est maintenue dans l’antécédent.
Dans la clivée n°2 en revanche, le subordonnant « dont » incorpore la préposition « de », qui n’est pas dans l’antécédent.
Donc, en gros,
- si je dis « c’est ça que j’ai besoin », la préposition a disparu corps et biens ;
- si je dis « c’est de ça dont j’ai besoin », elle est là deux fois.
On a donc bien deux énoncés « fautifs ».
Pourtant, le premier est condamné par 85,2% des 1034 répondant·e·s au sondage, contre seulement 14,8% pour le second — un écart gigantesque qui confirme, pour tout vous dire, mes prédictions. Pourquoi donc ?
3. Correct / incorrect ?
Admettons qu’il est éventuellement possible que certaines personnes aient l’illusion que la présence de « dont » rende l’énoncé automatiquement plus correct, un peu comme le relatif « whom » en anglais, qui est parfois valorisé même quand il est utilisé à mauvais escient.
Mais surtout, la structure en « de ça dont » abonde dans le discours de francophones en position de prestige, politique ou culturel notamment — exemples du président de la République et d’un journaliste à L’Opinion, mais faites le test vous-mêmes, ils se ramassent à la pelle :
À l’opposé, « c’est ça que j’ai besoin » est un exemple de ce que F. Gadet (1996) étiquette prudemment comme « relative “populaire” », une structure qu’on retrouve essentiellement dans le français de personnes issues de catégories sociales moins favorisées, ainsi que moins représentées et valorisées dans les médias.
Il en résulte que les 85% de répondant·e·s qui estiment que c’est l’énoncé 1 qu’il faut « bannir », pensant sans doute s’appuyer sur des critères de correction grammaticale, expriment en fait une préférence reproduisant des réflexes de stigmatisation sociale.
Ainsi, non seulement la norme du français « correct » est historiquement modelée sur la langue de nos élites, mais même leurs « fautes » sont meilleures.
Fautes de pauvres, fautes de riches, qu’on vous dit. 🤷♂️
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