Say what? Que se passe-t-il donc dans ce titre de la presse régionale anglaise posté sur X/Twitter par un collègue tourangeau ?

En avant pour un petit topo sur l’ambigüité morpho-lexico-syntaxique typique des ‘headlines’ de la presse britannique… 🧵⬇️

‘Sheep attack dog owner in court’ est ce que les linguistes appellent une ‘garden path sentence’, de l’expression ‘to be led down the garden path’ = « être induit·e en erreur »…

En lisant cet énoncé de façon linéaire, on suit en effet un chemin syntaxique dont on se rend compte au bout d’un moment qu’il n’est pas le bon, nous obligeant alors à faire demi-tour et à recommencer du début. Parfois, on finit par tomber sur un mot qui ne fonctionne pas, d’autres fois, comme ici, cette première lecture produit un non-sens.

Reprenons…

Ici, par défaut, on va instinctivement analyser ce titre comme un énoncé SVO canonique :

Sujet = ‘sheep’ = (des) moutons ;
Verbe = ‘attack’ = attaquent ;
COD = ‘dog owner’ = (un) propriétaire de chien(s) ;
CC = ‘in court’ = en justice.

Huh? 🤨

Même en comblant les trous laissés par l’absence de déterminants et par le présent à valeur passée caractéristiques du style ‘headlinese’, ça ne peut pas avoir cette signification. Mais comment cela est-il donc possible ?

L’anglais est une langue dont la morphologie est notoirement pauvre. C’est ce qui en fait d’ailleurs une langue populaire auprès des écolier·e·s qui la choisissent en LV1 au collège : pas de conjugaison ou presque, pas de déclinaisons, l’allemand peut pas rivaliser.

Ajoutons à cela qu’il n’y a quasiment rien qui, au plan morphologique, permet de reconnaître à première vue un verbe, un nom, un adjectif ou un adverbe, et que pour couronner le tout le passage d’une catégorie à une autre est extrêmement fluide.

Une bonne partie de la syntaxe de l’anglais se passe aussi de marqueurs spécifiques. Par exemple, la simple juxtaposition peut suffire à créer un lien de subordination (‘She said she saw the house you lived in’).

De même, la juxtaposition de deux noms suffit souvent à créer un lien de modification entre le N1 et le N2 : ‘a picture book’, ‘the bathroom window’, etc.
Il incombe dès lors au co-énonciateur (interlocuteur, lecteur…) de reconstituer ces liens non marqués et leur sens, souvent en s’appuyant sur une sorte de calcul probabilistique de vraisemblance. Ainsi, dans ‘drone attack’, ‘drone’ sera de préférence interprété comme agent (à l’origine de l’attaque), alors que dans ‘school attack’ ‘school’ sera interprété comme patient (subissant l’attaque).

Le style des titres de la presse anglophone est connu pour la recherche de concision qui le motive : absence de déterminants, de certains auxiliaires, de BE, et, donc, recours à ce qu’on peut appeler la « concaténation » de syntagmes nominaux.

La presse britannique est tout particulièrement friande de ce procédé, au point d’être parfois moquée de l’autre côté de l’Atlantique pour ses ‘noun piles’ : languagelog.ldc.upenn.edu/nll/index.php?…

Et c’est exactement ce que nous avons ici dans notre headline, qui malgré les apparences ne comporte aucun verbe. 🤯

Décryptage

[Sheep attack] : une attaque subie par un/des mouton(s) ;
[[Sheep attack] dog] : le chien responsable de l’attaque subie par le(s) mouton(s) ;
[[[Sheep attack] dog] owner] : le propriétaire du chien responsable de l’attaque subie par le(s) mouton(s).

[[[Sheep attack] dog] owner] (appears) in court : le propriétaire du chien responsable de l’attaque subie par le(s) mouton(s) comparaît au tribunal.

Phew. 

Pour en savoir plus, vous pouvez (re)lire mon billet de blog :
prendrelangue.fr/2023/07/08/16-…

Ou mon article pour la revue E-rea :
journals.openedition.org/erea/6124

Sur un exemple d’exploitation littéraire de cette syntaxe particulière, mon article sur The Shipping News d’E. Annie Proulx (et son adaptation cinématographique) :
univ-artois.hal.science/hal-04101101/d…